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Une cérémonie ancrée dans l’héritage culturel
Dans le calme des campagnes anglaises, Bandy Kiki, vêtue d’un vêtement traditionnel Ijaw rouge brodé, tenait fermement la main de sa compagne nigériane. Quelques heures plus tôt, elle attendait nerveusement derrière un rideau. « ‘Future Love’ de Malia jouait en fond », se souvient-elle via WhatsApp. Habillée d’un costume bleu marine à double boutonnage, chemise blanche impeccable et nœud papillon noir, elle craignait de trébucher ou que son pantalon se déchire.
Lorsqu’elle fit son entrée, tous les regards convergèrent vers elle. Son cœur battait à tout rompre, mais le sourire rassurant du Révérend Jide, l’officiant, l’aidait à garder le cap. C’est à cet instant qu’elle réalisa l’importance du moment : « Je voyais que tous étaient là pour célébrer notre amour. J’ai souri. Je savais que j’étais à ma place. »
Un mariage comme acte de résistance
D’origine nso (Cameroun) et Ijaw (Nigéria), les deux femmes ont construit leur mariage autour de leurs traditions. Les chants ancestraux résonnaient dans la salle, les invitées vêtues de tenues traditionnelles dansaient avec joie. Plus qu’une fusion, il s’agissait d’une réappropriation culturelle. Célébrer ainsi, pour Kiki, relevait de l’acte militant autant que de l’amour : une affirmation identitaire face à l’exil et au rejet.
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Une figure publique au parcours singulier
Née à Jakiri (Cameroun), Kiki s’est fait connaître en 2017 en révélant publiquement son homosexualité dans un pays où celle-ci reste criminalisée. Devenue l’une des voix LGBTQ+ les plus visibles de la diaspora camerounaise, elle a fondé Kinnaka’s Blog et Kinnaka’s TV, puis s’est imposée comme activiste et chercheuse. Elle dirige actuellement les programmes de Living Free U.K., qui soutient les personnes LGBTQ+ africaines exilées.
“Je suis une activiste LGBTQ+ aux multiples facettes,” dit-elle. “Je travaille entre militantisme numérique, éducation culturelle, et soutien communautaire.”
La violence du rejet
Mais la notoriété de Kiki a aussi un coût. Depuis son coming out, elle est la cible de menaces de viol, de mort et de campagnes de diffamation. Après son mariage, les critiques se sont intensifiées. L’Association culturelle et de développement Nso (NSO’DA) a publiquement dénoncé son union, la qualifiant d’“abomination” et d’“insulte à la culture nso”.
Un second communiqué de la diaspora nso en Europe l’a accusée d’avoir porté un couvre-chef traditionnel réservé aux hommes titulaires de titres. “Ils ont utilisé le chapeau comme prétexte,” estime Kiki. “Le vrai problème, c’est qu’une femme queer ait osé le porter avec fierté.”

Une tradition queer effacée par le colonialisme
Pour Kiki, l’enjeu dépasse sa propre histoire. “Chaque fois que nous vivons à visage découvert, nous érodons un peu plus la stigmatisation.” Avant l’influence coloniale, les sociétés africaines reconnaissaient et intégraient des formes d’unions et de genres non binaires : les mariages entre femmes chez les Igbo, les rôles mixtes chez les Dagaaba, ou encore l’amour entre personnes du même sexe chez les Mbundu.
Le colonialisme a imposé une morale homophobe. L’idée que l’homosexualité serait un phénomène occidental est donc une falsification historique.
Une union pour élargir l’horizon
Le mariage de Kiki et Jenny ne se voulait pas simplement festif. “Je ne voulais pas juste un gâteau et une cérémonie occidentale,” dit-elle. Elles ont ainsi inclus le rituel Bibifia, dans lequel la mariée ne sourit que lorsqu’elle a reçu suffisamment d’argent de son époux·se et des invité·es, ainsi que les rites nso, traditionnellement masculins, avec l’aide d’un·e ami·e Nso.
Ce fut un moment de réconciliation avec l’identité, mais aussi d’émotion : certaines personnes proches ont refusé d’y assister. “Il y avait de la joie, mais aussi une forme de tristesse silencieuse,” se rappelle Kiki.
Face à la haine, un espace d’amour
Malgré les attaques, l’événement a également suscité de la solidarité. De nombreux·ses Africain·es queer ont exprimé leur soutien. “Certain·es nous apportent à manger. Ça peut paraître anodin, mais c’est énorme.” Du côté de la communauté Ijaw, Kiki a aussi été accueillie avec chaleur : “Ils m’appellent leur belle-fille,” dit-elle en riant.
Jenny, plus discrète en ligne, mesure l’ampleur du harcèlement : “Je reçois des commentaires haineux, mais rien à voir avec ce que Kiki subit. C’est énorme ce qu’elle porte.”
Une cérémonie comme acte de mémoire et d’avenir

Photo : http://instagram.com/tatianatarasovskaya/ tarasovskaïa.com
“Oui, je referais ce mariage,” affirme Kiki. “Mon amour et mon droit à vivre librement ne sont pas négociables.” Sa cérémonie n’était ni une provocation, ni une rupture avec la tradition. C’était une réaffirmation : la culture africaine a toujours su accueillir ses enfants queer. Kiki n’a pas seulement célébré un mariage ; elle a ouvert un espace, une brèche où d’autres peuvent enfin se sentir vus.
Et si son village refuse de s’en souvenir avec fierté, d’autres s’en chargeront.