Pourquoi les lesbiennes sont si peu représentées dans les jeux vidéo ?
Introduction : Une absence criante dans l’univers vidéoludique
La représentation LGBTQIA+ dans les jeux vidéo a connu des progrès ces dernières années, notamment grâce à des personnages queer mieux écrits et à des histoires plus inclusives. Pourtant, une catégorie reste largement sous-représentée : les lesbiennes. Malgré un public de plus en plus diversifié et des créatrices qui prennent la parole, les femmes lesbiennes restent rares, marginalisées ou mal écrites dans l’univers vidéoludique.
Dans cet article, nous allons explorer les raisons profondes de cette absence, les implications culturelles et économiques, ainsi que les jeux qui tentent de changer la donne.
1. Une industrie dominée par les hommes hétérosexuels
Un biais historique dans la création
L’histoire des jeux vidéo est dominée par des créateurs masculins, souvent cisgenres et hétérosexuels. Dès les années 1980, les jeux ont été pensés par et pour des hommes, avec des personnages féminins relégués à des rôles de demoiselle en détresse (princesse Peach) ou d’objets de désir (Lara Croft dans ses premières apparitions).
Cette vision hétéronormée a fortement influencé les schémas narratifs, laissant peu de place aux histoires lesbiennes crédibles ou à des romances sapphiques complexes.
Des studios encore peu diversifiés
Même aujourd’hui, les grandes entreprises comme Ubisoft, EA ou Activision sont encore majoritairement dirigées par des hommes blancs cisgenres. Les femmes LGBTQIA+, et particulièrement les lesbiennes, sont peu nombreuses à occuper des postes décisionnels. Ce manque de diversité interne se reflète directement dans les personnages créés.
2. La sexualisation des lesbiennes dans les jeux vidéo
Le mythe de la « femme lesbienne sexy pour les hommes »
Dans de nombreux titres, les lesbiennes ne sont présentes que dans un cadre fantasmé, souvent destiné à plaire à un public masculin hétérosexuel. Ces représentations biaisées, basées sur des clichés pornographiques, réduisent les femmes lesbiennes à des accessoires esthétiques ou à des objets de désir.
Par exemple, certains jeux introduisent des baisers entre femmes uniquement pour provoquer le joueur, sans que cela n’ait de véritable impact narratif.
L’absence de réalisme dans les relations sapphiques
Contrairement aux personnages gays ou bisexuels qui gagnent parfois en profondeur dans les RPG modernes, les lesbiennes ont souvent des intrigues mal écrites, déconnectées de la réalité de leurs expériences. Il manque des récits authentiques, où les identités lesbiennes ne sont pas un simple outil de marketing ou de polémique.
3. Le marketing et la peur de la controverse
Des personnages LGBTQ+ encore vus comme « risqués »
Dans certaines régions du monde, la représentation des lesbiennes est encore taboue. Les studios craignent souvent de voir leurs jeux censurés ou boycottés s’ils incluent des relations homosexuelles féminines explicites ou assumées.
Cela conduit à une forme d’auto-censure, où la visibilité queer est soit totalement absente, soit très codée et ambigüe, notamment dans les pays comme la Russie, la Chine ou le Moyen-Orient.
Le pinkwashing et les faux progrès
Certaines entreprises utilisent l’inclusion lesbienne uniquement à des fins marketing. Ce phénomène, appelé pinkwashing, consiste à mettre en avant un personnage secondaire lesbien dans un DLC ou une scène cachée pour obtenir de la publicité positive… sans réelle implication narrative.
Cela donne une impression de progrès, tout en entretenant une marginalisation réelle.
4. Le poids des stéréotypes lesbophobes
La lesbienne masculine ou hyper-féminisée : peu de nuances
Quand elles sont présentes, les lesbiennes sont souvent représentées à travers deux archétypes :
- La lesbienne masculine (ou « butch ») vue comme agressive, dure, parfois caricaturale.
- La lesbienne ultra-féminisée, sexualisée à outrance et utilisée comme fantasme visuel.
Ces stéréotypes réduisent les personnages à des clichés et invisibilisent la pluralité des identités lesbiennes : les femmes androgynes, non-binaires, racisées, âgées, etc.
Peu de personnages principaux ouvertement lesbiennes
Les protagonistes lesbiennes sont encore très rares, surtout dans les jeux AAA (gros budgets). Il faut souvent se tourner vers les jeux indépendants pour trouver des héroïnes lesbiennes crédibles, comme dans Gone Home, If Found… ou encore Tell Me Why (même si ce dernier met en scène un homme trans, la représentation LGBTQ+ y est plus inclusive dans l’ensemble).
5. Une communauté joueuse lesbienne trop peu écoutée
Une audience pourtant bien présente
Les femmes lesbiennes jouent aux jeux vidéo, et elles sont nombreuses. Que ce soit sur console, PC ou mobile, elles constituent une part importante des joueuses queer. Pourtant, elles sont rarement prises en compte comme cible marketing principale.
Le rôle crucial des communautés en ligne
Sur Twitch, YouTube ou TikTok, des créatrices lesbiennes comme Ashly Burch, Erika Ishii ou Streamers sapphiques contribuent à visibiliser leur communauté. Elles réclament plus de représentations, dénoncent les clichés, et proposent une lecture queer des jeux vidéo. Mais les studios restent frileux à écouter ces voix.
Lire aussi : Jeux Vidéo Queer : une nouvelle ère de représentation LGBTQIA+
6. Les jeux indépendants, pionniers de la représentation lesbienne
Un espace de liberté créative
Les jeux indépendants, souvent auto-produits ou créés par de petites équipes, sont à la pointe de l’inclusivité. Libérés des contraintes marketing des grands studios, ils osent représenter des histoires lesbiennes vraies, sensibles et nuancées.
Quelques exemples notables :
- Gone Home : une adolescente découvre la relation cachée de sa sœur avec une autre fille.
- If Found… : un récit poétique autour de la transidentité et de l’amour lesbien.
- We Know the Devil : une métaphore queer sur l’adolescence, la foi et l’identité.
Une audience fidèle et engagée
Ces jeux ne font peut-être pas des millions de ventes, mais ils rencontrent un succès critique important, une communauté fidèle et une reconnaissance dans les festivals comme l’IndieCade ou les BAFTA Games Awards.
7. Les choses changent (lentement)
Vers une évolution dans les AAA ?
Certains titres commencent à intégrer des personnages principaux lesbiennes de manière plus authentique. Parmi les exemples les plus marquants :
- The Last of Us Part II : Ellie, ouvertement lesbienne, est l’héroïne d’un jeu triple A majeur. Le titre a été salué pour la profondeur émotionnelle de sa relation avec Dina.
- Life is Strange : True Colors : Alex peut vivre une romance avec une femme, de manière naturelle et bien écrite.
- Assassin’s Creed Odyssey : Kassandra peut choisir des relations avec des femmes dans le jeu, même si cela reste optionnel et pas intégré dans un arc narratif central.
Les studios écoutent (parfois)
Des entreprises comme Dontnod, Naughty Dog ou Deck Nine semblent plus attentives aux attentes de la communauté LGBTQIA+. Cela dit, ces initiatives restent minoritaires et souvent concentrées sur quelques licences ou auteurs bien identifiés.
8. Représentation lesbienne et intersectionnalité : un chantier en friche
Où sont les lesbiennes racisées, handicapées, âgées ?
Même dans les rares cas où des personnages lesbiennes sont visibles, l’intersectionnalité reste quasi absente. Il est très rare de voir :
- Des lesbiennes noires, arabes ou asiatiques dans des rôles principaux.
- Des lesbiennes handicapées, neuroatypiques ou seniors.
- Des représentations de familles lesboparentales, de relations longues, ou de quotidiens réalistes.
Ce manque de diversité au sein même de la catégorie lesbienne empêche une représentation riche et fidèle de la communauté.
Conclusion : Une lutte nécessaire pour l’inclusivité vidéoludique
Pourquoi les lesbiennes sont-elles si peu représentées dans les jeux vidéo ? La réponse est multiple : biais structurel de l’industrie, sexualisation, censure, marketing frileux, stéréotypes persistants et manque de créatrices lesbiennes aux commandes.
Mais les choses changent, lentement, grâce à la pression de la communauté, aux créateurs et créatrices queer indépendants et à quelques studios plus progressistes.
La représentation des lesbiennes dans les jeux vidéo n’est pas une option ou un “bonus”, c’est une nécessité culturelle. Il ne s’agit pas de cocher une case, mais de raconter des histoires authentiques, de proposer des modèles identifiables, de donner à chacun et chacune une place dans cet univers imaginaire qui influence nos perceptions du monde réel.