Un premier film entre vertige amoureux et dérive existentielle
Avec Pet Shop Days, Olmo Schnabel, fils du cinéaste Julian Schnabel, signe un premier long métrage intense et déroutant, présenté à la Mostra de Venise avant sa sortie en salles le mercredi 21 octobre. Le film suit le destin croisé de deux jeunes hommes, interprétés par Dario Yazbek Bernal et Jack Irv, emportés par une relation aussi passionnelle que destructrice.
Dès ses premières images, l’œuvre emprunte les codes du drame initiatique pour mieux basculer vers un conte moderne imprégné de sensualité, de violence et de marginalité. À New York, Alejandro et Jack se rencontrent dans un contexte de fuite : l’un échappe à une mère trop envahissante, l’autre à un père autoritaire. Leur rencontre fait jaillir une complicité troublée, marquée par une attraction électrique qui évolue vers une spirale de délinquance et de transgression. Combines, confrontations et désirs s’entremêlent jusqu’à brouiller les repères moraux.
Une représentation fluide et organique de la bisexualité
L’un des aspects les plus singuliers de Pet Shop Days réside dans sa manière d’aborder la bisexualité. Loin des récits traditionnels de coming out, le film en fait un élément naturel, presque instinctif, du parcours identitaire des protagonistes. La sexualité n’est pas ici sujet de débat ou de rupture, mais un prolongement de leur quête affective et existentielle.
Schnabel évite les clichés, préférant filmer cette sexualité comme un prolongement des émotions : « la rage ou la tendresse ». Le lien entre Alejandro et Jack dépasse la simple romance, naviguant entre attirance physique, rapports de force et abandon émotionnel. Une dynamique où se mêlent domination, réconfort et confusion des rôles, formant une chorégraphie amoureuse intense et équivoque.
Une mise en scène chaotique pour une génération sans boussole
Esthétiquement, le film s’inscrit dans la lignée de certains classiques du cinéma adolescent des années 90 et 2000. On y retrouve l’influence de Ken Park de Larry Clark ou encore Alpha Dog de Nick Cassavetes, dans cette manière de filmer des jeunes désœuvrés flirtant avec le danger et la transgression. Schnabel opte pour un style visuel percutant : couleurs saturées, caméra tremblante, rythme saccadé – un chaos visuel qui épouse le tumulte intérieur de ses personnages.
Autour du duo central, un casting prestigieux complète cette atmosphère oppressante : Willem Dafoe, Peter Sarsgaard, Maribel Verdú ou encore Emmanuelle Seigner incarnent des figures parentales ambiguës, comme des ombres planant sur les choix des héros. Ces adultes, souvent défaillants, soulignent l’absence de repères stables dans l’univers de ces jeunes hommes livrés à eux-mêmes.
Lire aussi : « Boots » sur Netflix : plongée dans l’homophobie intériorisée au sein de l’armée américaine
Une réflexion sur la masculinité contemporaine
Derrière ses airs de clip stylisé, Pet Shop Days esquisse une réflexion plus profonde sur la crise de la virilité. Alejandro et Jack sont des garçons sans modèles, forcés de construire leur masculinité à tâtons, dans un monde où celle-ci ne se définit plus par l’autorité ou la force. Leurs actes de violence ne relèvent pas tant de la délinquance que d’une détresse émotionnelle – une manière de combler le vide, d’attirer l’attention, ou simplement d’exister.
Les scènes de vol et d’arnaque, à la fois colorées et inquiétantes, renforcent cette tonalité de désarroi masqué sous des apparences bravaches. Lorsque le film ralentit, il parvient à saisir quelques instants de douceur et de vulnérabilité, offrant un contraste bienvenu à l’agitation ambiante.
Un film incandescent, mais parfois inabouti
Si Pet Shop Days impressionne par sa fougue et son énergie visuelle, il pêche parfois par un certain manque de profondeur psychologique. Les personnages, bien que charismatiques, restent en surface ; leur complexité intérieure est plus suggérée que véritablement explorée. Là où Larry Clark laissait parler les silences, Schnabel semble privilégier l’excès et le tumulte.
Ce choix de mise en scène, assumé, place le film dans une logique de sensation plus que de réflexion. Pet Shop Days embrasse ainsi le vertige au détriment de la lucidité, livrant un portrait d’une jeunesse perdue qui fait de l’errance un mode de vie, et du désir, une boussole incertaine. Un premier film à la fois fascinant, imparfait, et profondément sincère.