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Les Pride Alternatives  : un retour aux sources militantes

Pride alternatives
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Les Pride alternatives

Qu’est-ce qu’une Pride alternative ?

Les Prides alternatives désignent des marches ou événements LGBTQ+ organisés en marge des marches des fiertés officielles, dans un esprit plus militant et critique. Ces mobilisations sont nées du constat que de nombreuses Pride traditionnelles se sont dépolitisées avec le temps, parfois dominées par les sponsors et un aspect festif au détriment des revendications sociales.

En réaction, des militants LGBTQ+ ont créé des initiatives « alternatives » pour repolitiser la Pride et remettre en avant les luttes. Comme le résume Wikipédia, « les Prides de nuit sont des mobilisations militantes rassemblant des personnes LGBTQI+ considérant que les marches des fiertés sont dépolitisées et se proposant comme des alternatives à celles-ci. En clair, ces événements cherchent à « revenir aux racines » protestataires de la Pride, à l’image du soulèvement de Stonewall en 1969. Ainsi, pour de nombreux militants, « alternative Pride events will always be necessary*, especially as racism, misogyny and transphobia can combine to make mainstream offerings exclusionary**» (« les Pride alternatives seront toujours nécessaires, d’autant que le racisme, la misogynie et la transphobie peuvent rendre les Pride mainstream excluantes »).

En France : le renouveau des Pride militantes

En France, l’émergence de Prides alternatives a pris de l’ampleur au milieu des années 2010. Le mouvement a débuté à Paris en 2015 avec la Pride de nuit, lancée par Act Up-Paris, OUTrans, Femmes en lutte 93 et d’autres collectifs militants. Cette marche nocturne, organisée la veille ou en marge de la Marche des fiertés officielle, voulait protester contre la « dépolitisation » de la Pride parisienne et le « capitalisme rose », c’est-à-dire la récupération commerciale par des marques. Trois éditions de la Pride de nuit parisienne ont eu lieu (2015, 2016, 2017) et ont connu un franc succès militant. Le mouvement s’est ensuite étendu à d’autres villes françaises : des Prides de nuit ont été organisées à Toulouse, Lyon ou Nice notamment. Par exemple, à Lyon en 2018, une Pride de nuit en « non-mixité choisie » a précédé la Marche des fiertés officielle pour dénoncer des agressions LGBTphobes survenues dans la ville.

Après 2017, la formule a évolué à Paris. En 2021 est née la Pride Radicale de Paris, souvent présentée comme la relève de la Pride de nuit. La Pride Radicale se veut antiraciste, anticapitaliste, anti-impérialiste, pro-féministe et clairement anti-“pinkwashing”. Ses organisateurs dénoncent une Pride officielle devenue un simple « défilé commercial » et appellent à un retour à l’activisme de terrain : « soit nous avons tous les mêmes droits fondamentaux, soit aucun de nous n’a de droits », martelait-on lors de la Pride Radicale 2024. Concrètement, la Pride Radicale se déroule environ une semaine avant la marche officielle et attire des dizaines de milliers de personnes. En 2021 et 2022, entre 30 000 et 40 000 manifestants y ont participé sous les mots d’ordre anticapitalistes et anticolonialistes. En 2024, ce rassemblement alternatif a réuni environ 28 000 personnes dans les rues de Paris– un chiffre significatif face aux 110 000 participants annoncés à la Marche des fiertés traditionnelle la même année. L’essor de ces marches parallèles témoigne d’une réappropriation politique de la Pride par la base. Comme l’analyse la sociologue Ilana Eloit, interrogée par Le Monde, la coexistence de plusieurs marches (telle que la Pride des banlieues, la Pride Radicale et la marche parisienne de l’Inter-LGBT) est le signe d’un « enrichissement et d’une diversification du mouvement», porté par de nouvelles revendications.

Parmi ces nouvelles initiatives figure justement la Pride des banlieues. Organisée en Seine-Saint-Denis (banlieue parisienne) à partir de 2019, elle se définit comme « la marche des fiertés en banlieue » et porte des revendications spécifiques aux quartiers populaires. La Pride des banlieues défend non seulement les droits LGBTQIA+ dans les banlieues, mais combat aussi le racisme, les discriminations liées à la pauvreté et milite pour un meilleur accès à la santé et au logement pour les personnes LGBTQ+ racisées. Après deux années d’interruption (pandémie oblige), cet événement est revenu en force : en 2022 à Saint-Denis il a attiré près de 10 000 personnes, et l’édition 2025 à La Courneuve a de nouveau rassemblé des milliers de manifestants. Soutenue notamment par des associations locales et certaines municipalités, la Pride des banlieues montre que les territoires périphériques entendent eux aussi célébrer la fierté de façon engagée, en prouvant que « les habitants des quartiers populaires ne sont pas plus hostiles à la communauté LGBT que le reste de la France ».

Reclaim Pride : des alternatives à l’international

Le phénomène des Pride alternatives n’est pas propre à la France – loin de là. Un peu partout, des militants ont créé des événements similaires pour « reprendre » la Pride en la recentrant sur la protestation et les communautés marginalisées. Voici quelques exemples marquants de ces initiatives à travers le monde :

  • Reclaim Pride (Royaume-Uni) : À Londres, des activistes ont lancé en 2021 la marche Reclaim Pride pour protester contre la dérive jugée trop commerciale de la Pride in London. Cette « People’s Pride » autogérée se veut ouverte à tous, sans sponsors ni droits d’entrée, dans l’esprit du premier Gay Pride de 1972. La première édition, le 24 juillet 2021, a rallié plusieurs milliers de personnes derrière des revendications telles que l’interdiction des thérapies de conversion, la réforme de la loi sur le genre ou l’asile pour les réfugiés LGBT+. Fort de ce succès, Reclaim Pride est désormais un rendez-vous annuel à Londres (prévu encore en 2022 et au-delà), soutenu par des collectifs comme UK Black Pride et London Trans Pride. Son mot d’ordre : remettre les droits humains LGBT+ au centre, sans fioritures ni récupérations.
  • Queer Liberation March (États-Unis) : À New York, berceau de la Pride, une scission similaire a eu lieu. Depuis 2019, le collectif Reclaim Pride Coalition organise la Queer Liberation March en alternative à la gigantesque parade de NYC. Il s’agit d’une marche de protestation annuelle dans Manhattan, sans chars publicitaires ni présence policière, pour renouer avec l’esprit militant des débuts. La première Queer Liberation March a été lancée le 30 juin 2019 lors du WorldPride, coïncidant avec le 50ᵉ anniversaire de Stonewall. L’année suivante, en juin 2020, le cortège a marché en solidarité avec Black Lives Matter et contre les violences policières. Depuis, chaque dernier week-end de juin voit deux manifestations distinctes à New York : d’un côté la parade officielle sponsorisée, de l’autre la Queer Liberation March anti-corporate. Cette dernière suit d’ailleurs le parcours historique de la première marche de 1970, symboliquement à contresens de la parade commerciale. La Queer Liberation March est désormais bien installée, avec des éditions prévues jusqu’en 2026 déjà annoncées.

Lire aussi : L’histoire de la Gay Pride


  • Orgullo Crítico (Espagne) : En Espagne, un mouvement appelé Orgullo Crítico (« Pride critique ») s’est développé en opposition aux prides institutionnelles (comme la fameuse Madrid Pride – MADO). Présent à Madrid et dans plusieurs villes espagnoles, Orgullo Crítico organise chaque année des manifestations anticapitalistes fin juin en reprenant la date symbolique du 28 juin. Les organisateurs présentent ces marches comme des alternatives aux parades officielles qu’ils jugent « commerciales et institutionnalisées ». Le mot d’ordre est à la décommercialisation et à la repolitisation de la fierté, avec des critiques frontales du capitalisme rose, de la gentrification, de l’homonormativité ou du pinkwashing. Né dans les années 2000, le mouvement Orgullo Crítico a pris de l’ampleur à Madrid à partir de 2016, rassemblant étudiants, collectifs queer radical, militants antiracistes, etc. sous des slogans tels que « Orgullo Indignado » (Pride des Indigné·e·s) ou « Orgullo es protesta ». Il illustre bien comment la base militante en Europe du Sud a refusé de laisser la Pride devenir un simple carnaval touristique : « esta es una versión alternativa del Orgullo que no esté despolitizada ni domesticada*»*, expliquent-ils, rappelant que « Stonewall était une émeute » et pas une fête commerciale.
  • Dyke March et Trans March : En Amérique du Nord, certaines communautés au sein même du mouvement LGBT+ ont organisé leurs propres marches alternatives, souvent en amont de la Pride officielle. C’est le cas des Dyke March (marches lesbiennes) et des Trans March, qui sont devenues des traditions annuelles dans des villes comme San Francisco, New York, Montréal, etc. La toute première Dyke March a vu le jour aux États-Unis dans les années 1990 pour donner de la visibilité aux lesbiennes et femmes queer, à une époque où elles se sentaient marginalisées dans les Pride dominées par les hommes gays. Depuis, chaque année durant le week-end de la Pride, des milliers de femmes et personnes queer marchent ensemble lors de Dyke March non commerciales, ce qui fait dire qu’« America’s original Dyke March (now spread globally)… [has] grown in popularity**». De même, la Trans March de San Francisco, initiée en 2004, est devenue l’une des plus grandes manifestations trans au monde, inspirant des marches similaires à Vancouver, Toronto, Paris ou Berlin. Ces événements parallèles, souvent plus modestes en moyens mais riches en authenticité, rappellent que chaque composante de la communauté LGBT+ peut porter ses revendications propres si elle ne les voit pas reflétées dans la Pride principale. Leur existence-même a souvent poussé les organisateurs des prides officielles à plus d’inclusivité par la suite.
  • Black Pride et prides communautaires : Enfin, certaines Pride alternatives se sont formées pour célébrer des identités croisées et lutter contre le racisme ou d’autres oppressions y compris au sein de la communauté LGBT+. Par exemple, au Royaume-Uni, la UK Black Pride a été fondée dès 2005 pour offrir un espace de fierté aux personnes LGBTQ+ noires et asiatiques. Ce qui n’était au départ qu’un petit pique-nique est devenu aujourd’hui le plus grand festival européen pour les LGBTQ+ racisé·e·s. De même, en Afrique du Sud, des militants ont créé des marches alternatives dans les townships : la Soweto Pride, organisée par des femmes lesbiennes noires depuis 2004, est citée comme l’une des Pride alternatives mettant en avant les voix de la base communautaire. Face à une Gay Pride de Johannesburg perçue comme élitiste et centrée sur les quartiers blancs, Soweto Pride et d’autres People’s Pride sud-africaines ont mis l’accent sur les crimes de haine, les violences faites aux lesbiennes (viols correctifs, féminicides), le racisme et la précarité socio-économique. Là encore, il s’agit de réaffirmer que la Pride appartient à tous, en particulier aux plus marginalisés. Ces exemples démontrent que sous toutes les latitudes – du Texas (où l’initiative radicale QueerBomb à Austin scande « Stonewall was a riot, not a trade show ») à la Pologne (où des Marches de l’égalité contestent l’exclusion des personnes trans et non-binaires) – l’esprit de “reclaim” (réappropriation) gagne du terrain.

Un mouvement en constante évolution

Les Pride alternatives se sont imposées comme un phénomène durable et dynamique. Chaque année, de nouvelles initiatives voient le jour ou se renforcent, particulièrement lorsque le contexte politique et social devient hostile aux personnes LGBTQ+. En 2023-2024, face à la montée des discours haineux et de l’extrême droite dans plusieurs pays, on observe un retour aux sources protestataires de nombreuses Pride : les militants n’hésitent plus à organiser des événements officieux en parallèle des prides institutionnelles jugées trop frileuses. Pour 2025 et 2026, on peut s’attendre à la poursuite de cette tendance. En France, la Pride Radicale entend bien continuer après son retour en 2024, et la Pride des banlieues vise déjà à élargir son audience. À New York, la Reclaim Pride Coalition a annoncé que la Queer Liberation March 2025 mettrait l’accent sur la résistance aux politiques anti-LGBTQ+ et d’extrême droite, et une édition 2026 est d’ores et déjà envisagée. Partout, ces mouvements adaptent la Pride aux enjeux actuels : intersectionnalité, sécurité des personnes trans, inclusion des minorités ethniques, dénonciation du pinkwashing des entreprises, etc.

En somme, l’essor des « Pride alternatives » traduit la vitalité du militantisme LGBTQ+. Loin d’être de simples contre-manifestations, elles enrichissent le paysage des fiertés en redonnant la parole à ceux qui ne s’y reconnaissaient plus. Plutôt qu’une division du mouvement, beaucoup y voient un complément nécessaire : la Pride mainstream continue d’attirer un public large et festif, tandis que les alternatives offrent un espace plus politique, plus radical, mais tout aussi célébratif à leur manière. Comme le titrait un média militant lors de la Pride Radicale parisienne : « Pour l’autodétermination et la libération… loin des récupérations politiques et financières. Ces marches alternatives rappellent ainsi que la Pride est avant tout une marche de revendications et de visibilité pour les droits LGBTQ+. Et tant que l’égalité réelle ne sera pas atteinte pour toutes les composantes de la communauté, ces Pride alternatives auront lieu d’être – car « If we don’t all have the same rights, then none of us have rights»* (« si nous n’avons pas tous les mêmes droits, alors personne n’a de droits »).