Romans d’horreur queers
Entre brouillard d’automne, feuilles mortes et nuits qui s’allongent, le climat annonce la fameuse spooky season : le moment parfait pour se blottir sous un plaid et savourer une bonne dose de peur. Cette année, notre sélection fait la part belle à l’horreur queer — des récits où la différence, le corps et le désir se mêlent au surnaturel.
Des vampires sensuelles du XIXᵉ siècle aux héroïnes trans post-apocalyptiques, du gothique victorien au body horror le plus cru, ces romans explorent la peur comme un miroir du genre, du pouvoir et de la marginalité. Ici, l’angoisse devient sensualité, et le monstre, un symbole d’émancipation.
🌙 Romances saphiques et spectres du désir
Carmilla – J. Sheridan Le Fanu (1872)
Carmilla – J. Sheridan Le Fanu
- Précurseur du mythe du vampire lesbien
- Atmosphère brumeuse & romantisme noir
- Indispensable pour une sélection Halloween queer
Bien avant Dracula, il y avait Carmilla — et avant le vampire masculin, une passion entre femmes. Ce classique du gothique met en scène une noble mystérieuse qui charme et vampirise une jeune fille innocente. Sous la surface du fantastique se cache une exploration audacieuse du désir féminin, de la tentation et de la culpabilité. Premier grand roman lesbien de l’histoire horrifique, Carmilla fait du sang une métaphore du plaisir interdit.
Affinités – Sarah Waters (1999)
Affinités – Sarah Waters
- Roman historique centré sur la vie lesbienne à Londres et au-delà
- Style limpide, intrigue captivante, époque 1920-30
- Parfait pour étoffer une sélection queer littéraire riche et engagée
Dans le Londres brumeux du XIXᵉ siècle, une jeune femme, Margaret, rend visite à des prisonnières et tombe sous le charme d’une médium nommée Selina. Sarah Waters, autrice emblématique de la littérature lesbienne, tisse un récit d’amour et de hantise où les barreaux de la cellule deviennent le symbole d’un patriarcat étouffant. Affinités explore la peur de désirer hors norme, entre religion, culpabilité et sensualité contenue.
Du bout des doigts – Sarah Waters (2002)
Du bout des doigts – Sarah Waters
- Thriller psychologique dans l’Angleterre victorienne
- Intrigues, secrets et passion entre deux femmes
- Un classique queer à l’atmosphère envoûtante
Cette fois, Waters abandonne les prisons pour les manoirs et signe un polar victorien aux accents érotiques. Une voleuse issue des bas-fonds croise le destin d’une riche héritière recluse. Entre manipulation et passion, le roman renverse les codes du genre : la sensualité n’y est plus cachée, mais affirmée. Derrière les corsets et les faux-semblants, Waters aborde la liberté, la classe et la domination masculine avec une plume tranchante.
Wilder Girls – Rory Power (2019)
Wilder Girls – Rory Power
- Roman dystopique queer acclamé par la critique
- Trois jeunes filles confrontées à une mutation mystérieuse
- Féministe, dérangeant et d’une beauté sauvage
Dans un pensionnat isolé, trois adolescentes sont confrontées à une épidémie qui transforme leur corps et leur esprit. Rory Power signe un huis clos poétique et monstrueux, où la mutation devient métaphore de la puberté et du désir queer. Sous son apparence de thriller pour jeunes adultes, Wilder Girls interroge la peur du corps féminin et la découverte de soi, entre répulsion et fascination.
Gideon la Neuvième – Tamsyn Muir (2019)
Gideon la Neuvième – Tamsyn Muir
- Épopée gothique queer entre science-fiction et fantasy
- Une nécromancienne, son garde du corps rebelle et un palais hanté
- Dialogue cinglant, univers sombre et culte dans la communauté LGBTQ+
Et si l’horreur gothique rencontrait la science-fiction ? Dans cet univers de nécromanciennes spatiales, les duels à l’épée côtoient les amours lesbiennes. Tamsyn Muir dépoussière le genre avec une héroïne sarcastique et queer, en armure, défiant à la fois les morts et les normes. Gideon la Neuvième est un mélange explosif de noirceur, d’humour et de passion morbide.
🩸 Romances gays et extases monstrueuses
Livres de sang – Clive Barker (1984-1985)
Livre de sang – Tome 1
- Anthologie d’horreur signée Clive Barker, maître du fantastique queer
- Des récits où désir et effroi s’entrelacent dans la chair et le sang
- Une œuvre culte pour les amateurs d’émotions fortes et de gothique moderne
Considéré comme un maître de l’horreur moderne, Clive Barker — ouvertement gay — injecte dans ses nouvelles une sensualité viscérale. Ses Livres de sang réinventent le corps et le désir : les monstres y sont beaux, le plaisir y est dangereux. Le queer devient une force de rébellion contre la morale religieuse, une esthétique du sacrilège et de la chair.
Hellraiser (The Hellbound Heart) – Clive Barker (1986)
Hellraiser (The Hellbound Heart) – Clive Barker
- Chef-d’œuvre horrifique mêlant érotisme et douleur
- À l’origine des mythiques Cénobites et de Pinhead
- Un classique queer du fantastique moderne, cru et envoûtant
À l’origine du film culte, ce roman court est un véritable poème sadomasochiste. Une boîte mystérieuse ouvre la porte de l’enfer, où des démons androgynes offrent une extase au-delà de la douleur. Les Cénobites incarnent la fusion des genres et la transgression ultime : la souffrance devient un art, et le corps, un sanctuaire de désir.
Âmes perdues – Poppy Z. Brite (1992)
Âmes perdues – Poppy Z. Brite
- Roman gothique culte, entre sensualité et ténèbres
- Vampires androgynes, rock underground et amour interdit
- Icône de la littérature queer alternative des années 90
Dans ce roman vampirique culte, Poppy Z. Brite — figure trans et icône des années 90 — réinvente le mythe du vampire en y mêlant bisexualité, rock et poésie noire. Le sang et la passion s’y confondent dans une quête désespérée de beauté. Âmes perdues est un cri d’amour pour les marginaux, une ode gothique à la mélancolie queer.
Le Corps exquis – Poppy Z. Brite (1996)
Le Corps exquis – Poppy Z. Brite
- Roman culte du transgressif queer et de la fascination morbide
- Exploration crue du désir, de la folie et de la marginalité
- Une œuvre dérangeante, poétique et profondément subversive
Deux tueurs en série gays à la Nouvelle-Orléans, un amour cannibale et morbide : Le Corps exquis repousse toutes les limites. Brite transforme la violence en sensualité, la monstruosité en passion. C’est un roman sur la transgression absolue, une célébration du désir hors de toute morale. Fascinant, dérangeant et hypnotique.
La Nuit ravagée – Jean-Baptiste Del Amo (2024)
La Nuit ravagée – Jean-Baptiste Del Amo
- Fresque post-apocalyptique et sensorielle d’un auteur majeur
- Écriture viscérale, portée par la sensualité et la désolation
- Une œuvre queer, écologique et intensément humaine
Avec La Nuit ravagée, Del Amo plonge dans l’horreur du quotidien. Dans une banlieue française étouffante, un groupe d’adolescents découvre la peur, la sexualité et la violence. Deux garçons s’attirent dans le secret, sous le poids du non-dit et de la honte. Ici, le monstre n’est pas surnaturel : il est social, pavillonnaire, intime. Une œuvre d’une intensité rare, où le désir devient la plus dangereuse des lumières.
🌊 Horreurs décoloniales et identités métamorphosées
Les Abysses – Rivers Solomon (2019)
Rivers Solomon, auteur·ice non-binaire afro-queer, revisite le mythe des sirènes : ces créatures sont ici les descendantes des femmes africaines jetées par-dessus bord durant la traite. Les Abysses aborde la mémoire, la transmission et la fluidité de genre à travers une prose poétique et bouleversante. Un chef-d’œuvre sur la résilience et la liberté.
Sorrowland – Rivers Solomon (2021)
Vern, jeune femme noire enceinte, fuit une secte religieuse pour découvrir que son corps se transforme. Ce récit de mutation et d’émancipation mêle body horror, science-fiction et spiritualité. Solomon fait de la différence une puissance sacrée : le monstre devient prophète, et le corps queer, un instrument de révolte.
Un bon Indien est un Indien mort – Stephen Graham Jones (2020)
Quatre hommes autochtones sont traqués par l’esprit d’une biche qu’ils ont tuée. Sous ce vernis surnaturel, Stephen Graham Jones dresse un portrait saisissant de la virilité, de la honte et de la culpabilité. L’horreur devient politique et sociale. Même sans aborder explicitement la question queer, le roman partage cette sensibilité : vulnérabilité masculine, rejet des stéréotypes, quête de réparation.
🧬 Corps mutants et résistances queer
Chasse à l’homme (Manhunt) – Gretchen Felker-Martin (2022)
Dans un monde post-apocalyptique où les hommes cis mutent en monstres, les femmes trans luttent pour leur survie. Gretchen Felker-Martin, autrice trans, livre un récit cru et viscéral sur la transphobie et la solidarité. Ce roman choc transforme la rage en arme et la survie en acte politique. Probablement l’un des textes les plus radicaux de l’horreur queer moderne.
Son corps et autres célébrations – Carmen Maria Machado (2017)
Dans ce recueil de nouvelles puissantes, Carmen Maria Machado dissèque le corps féminin à travers la peur, la sexualité et la violence. Chaque histoire revisite les codes de l’horreur sous un prisme féministe et saphique. Le corps devient terrain de lutte, de mutation, de renaissance. Une œuvre d’une beauté troublante, entre douleur et libération.
Mon cœur est une tronçonneuse – Stephen Graham Jones (2021)
Jade, ado métisse et queer, ne jure que par les slashers. Quand le carnage s’invite dans sa petite ville, elle doit devenir sa propre héroïne. Stephen Graham Jones détourne les clichés du film d’horreur pour raconter la résilience et l’identité. Le massacre devient une métaphore de la survie culturelle et queer.
L’Agneau égorgera le lion – Margaret Killjoy (2017)
Margaret Killjoy, écrivaine trans et militante anarchiste, imagine une communauté queer poursuivie par un esprit vengeur sous la forme d’un cerf. Ce court roman, entre manifeste libertaire et récit gothique, explore les utopies collectives et leurs fantômes. L’horreur, ici, devient un moyen de penser la rébellion et la liberté. Punk, mystique et inoubliable.
🎃 Une peur résolument queer
Dans ces histoires, les monstres ne sont pas à fuir : ils sont à comprendre. L’horreur devient miroir, libération, catharsis. Les corps queer, mutants, sensuels ou révoltés, ne sont plus des victimes, mais les véritables protagonistes.
Cette Halloween, laissez-vous hanter — pas par des fantômes, mais par des voix qui revendiquent le droit d’exister autrement.
