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Histoire de la Visibilité LGBTQ+ en Ligne de 2000 à Aujourd’hui

Histoire de la Visibilité LGBTQ+ en Ligne
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Histoire de la visibilité LGBTQ+ en ligne

Au cours des deux dernières décennies, Internet est devenu un vecteur majeur de visibilité et de communauté pour les personnes LGBTQ+. Des blogs confidentiels des années 2000 aux gigantesques plateformes sociales des années 2020, la présence queer en ligne a évolué à un rythme fulgurant. Cette évolution s’est accompagnée de changements socioculturels profonds : les formats de communication ont muté (forums, blogs, réseaux sociaux, vidéos, streaming…), les algorithmes et politiques de modération ont soulevé débats et controverses, et l’impact sur la société, la culture pop et les droits LGBTQ+ est indéniable. Une enquête de 2021 montrait d’ailleurs qu’environ 69 % des jeunes LGBTQ+ trouvaient en ligne des espaces « affirmant » leur identité, contre seulement 50 % à l’école et 34 % à la maison. Cette statistique illustre à quel point le web est devenu un refuge et un moteur de visibilité pour la communauté queer. Retraçons chronologiquement les grandes étapes, plateformes clés, figures marquantes et défis qui ont jalonné l’histoire de la visibilité LGBTQ+ en ligne depuis les années 2000.

Années 2000 : premiers espaces queer sur la toile

Des forums et blogs aux premières communautés numériques – Au début des années 2000, le paysage Internet est bien différent de celui d’aujourd’hui. Les réseaux sociaux grand public n’existent pas encore, mais des forums de discussion, des chatrooms et des blogs offrent aux personnes LGBTQ+ de nouveaux espaces pour se retrouver. Par exemple, le site Gay.com, axé sur les chats et rencontres, attire au sommet de sa popularité plus d’un million d’utilisateurs par jour. Cette période voit émerger des plateformes pionnières comme LiveJournal, lancé en 1999, qui marie journal intime en ligne et réseautage social. LiveJournal permet de créer des communautés centrées sur des intérêts communs, avec des paramètres de confidentialité flexibles. Pour de nombreux adolescents queer des années 2000, LiveJournal a servi de sas de décompression – un endroit où confier ses questionnements identitaires et échanger avec d’autres jeunes en quête d’eux-mêmes. Il faut rappeler qu’au début des années 2000, la représentation LGBTQ+ dans les médias était très limitée et l’homophobie encore bien ancrée ; pouvoir exprimer en ligne ce qui était indicible dans la vie réelle constituait une révolution personnelle pour beaucoup. Les blogs et forums (qu’ils soient dédiés spécifiquement aux personnes LGBT ou généralistes avec des sous-communautés queer) deviennent ainsi des havres de soutien et de libre parole.

Fandoms, jeux en ligne et mondes virtuels – Parallèlement, des espaces ludiques et créatifs offrent une échappatoire aux jeunes queer. Même involontairement, des sites de jeux virtuels comme Neopets ont vu fleurir des communautés LGBTQ+. Ce jeu, populaire dans les années 2000, permettait aux utilisateurs d’élever des animaux virtuels et de discuter via des forums intégrés. S’il censurait certains mots liés aux relations (comme “girlfriend” ou “dating”), les adolescents contournent ces restrictions via des codes ou en se retrouvant sur des messageries externes. Des guildes amicales entre joueurs queer se sont ainsi formées discrètement dans Neopets. De même, la plate-forme DeviantArt (créée en 2000) attire de nombreux artistes en herbe, dont une proportion significative de jeunes LGBTQ+. Sur DeviantArt, chacun expose ses œuvres et s’invente un avatar ; l’anonymat relatif permet là encore d’affirmer sa différence à travers l’art et de se lier avec d’autres créatifs queer partageant des fandoms (mangas, fantasy, jeux vidéo) dans une ambiance bienveillante.

MySpace et le début des réseaux sociaux – Le milieu des années 2000 marque une transition avec l’apparition des premiers réseaux sociaux grand public. MySpace, fondé en 2003, est la plateforme phare de cette ère pré-Facebook. Tout le monde ou presque y a un profil personnalisable à grand renfort de code HTML et de playlists musicales. MySpace se distingue en permettant aux utilisateurs d’indiquer leur orientation sexuelle dans leur profil, une nouveauté pour l’époque. Cette fonctionnalité a été déterminante pour de nombreux jeunes : MySpace fut pour certains le premier moyen de rencontrer d’autres personnes queer de leur région via Internet. On y trouve des groupes et pages dédiés aux thématiques LGBT, tandis que les blogs MySpace offrent un exutoire où l’on peut aborder ouvertement ses pensées les plus intimes (un ami pouvait ainsi révéler son homosexualité sur son blog MySpace, là où il ne le ferait pas sur le panneau d’affichage du lycée). Vers la fin des années 2000, MySpace amorce son déclin face à Facebook, mais il aura pavé la voie d’une socialisation en ligne plus assumée pour les LGBTQ+.

En résumé, les années 2000 posent les fondations de la visibilité LGBTQ+ en ligne. À travers des outils encore rudimentaires (blogs, chatrooms, forums), une première génération de pionniers et pionnières queer s’approprie le web pour créer des espaces d’entraide, d’expression de soi et de militantisme naissant. Cette décennie montre aussi comment l’anonymat en ligne peut être libérateur à une époque où sortir du placard physiquement demeure périlleux dans de nombreux contextes.

Années 2010 : l’âge d’or des réseaux sociaux et des voix queer

Tumblr et l’explosion des communautés en ligne – Si la fin des années 2000 a vu apparaître Facebook et Twitter, c’est réellement dans les années 2010 que les réseaux sociaux deviennent omniprésents, propulsant la visibilité LGBTQ+ à une échelle inédite. Lancé en 2007, Tumblr s’impose au début des années 2010 comme un foyer majeur de la culture queer sur Internet. La plateforme de microblogging, très appréciée des Millennials et de la Génération Z, héberge d’innombrables blogs dédiés aux fandoms, aux esthétiques alternatives et aux questions LGBTQ+. Sur Tumblr, des sujets naguère confidentiels gagnent en visibilité : on y parle ouvertement d’asexualité et d’aromantisme, de non-binarité, de transidentité, de militantisme queer, etc.. La “Tumblr culture” forge un vocabulaire et une conscience collective chez les jeunes queer du monde entier. Pour beaucoup, ce fut un espace formateur de leur identité et de leur pensée, au point qu’une décennie plus tard, on compare souvent les débats qui agitent TikTok à ceux qu’hébergeait Tumblr dix ans auparavant. Tumblr a normalisé une multiplicité de discours et d’identités LGBTQ+, le tout dans un esprit d’autodérision, de créativité (mèmes, GIF, fanfictions) et de soutien mutuel. Cet âge d’or connaîtra toutefois une fin abrupte en décembre 2018 lorsque Tumblr, sous la pression des app stores et des risques juridiques, bannit les contenus “adultes”. Cette interdiction a un effet dévastateur sur les communautés artistiques et érotiques LGBTQ+ qui prospéraient sur la plateforme, beaucoup dénonçant la perte d’un espace sûr pour les sexualités minoritaires et l’expression queer sans censure.

YouTube : de la vulnérabilité à la célébrité – YouTube, créé en 2005, prend son essor dans les années 2010 et devient un tremplin sans précédent pour la visibilité individuelle. De nombreux vidéastes LGBTQ+ conquièrent un large public en partageant leur vie, leur art ou leur message. Le cas emblématique est le phénomène des coming-out en vidéo : de jeunes YouTubeurs et YouTubeuses publient des vidéos où ils révèlent publiquement leur orientation sexuelle ou identité de genre, souvent pour la première fois vis-à-vis d’une large audience. Des stars du web comme Troye Sivan (chanteur et acteur, dont le coming-out en 2013 sur YouTube a été vu des millions de fois) ou Ingrid Nilsen (Youtubeuse beauté qui a fait son coming-out lesbien en 2015 dans une vidéo émouvante) ont contribué à banaliser l’acte de coming-out en le rendant visible et fier en ligne. Par ailleurs, YouTube a permis l’essor de personnalités queer diverses : des militant·e·s comme Tyler Oakley (l’un des vidéastes gay les plus suivis, engagé contre le harcèlement), des créateurs de contenu éducatif comme ContraPoints (qui popularise des réflexions sur le genre et la transidentité), ou encore des artistes transgenres comme Gigi Gorgeous qui ont documenté leur transition face caméra, inspirant d’innombrables spectateurs. Une campagne majeure illustrant le pouvoir de YouTube est le projet “It Gets Better” lancé en 2010 pour lutter contre le suicide des jeunes LGBTQ+. Cette initiative virale a recueilli plus de 50 000 vidéos de personnes ordinaires et de célébrités partageant des messages d’espoir, cumulant plus de 50 millions de vues– un élan de solidarité en ligne d’une ampleur sans précédent.

YouTube n’a toutefois pas été exempt de controverses en matière de visibilité queer. En 2017, la communauté découvre avec colère que le mode restreint (Restricted Mode) de YouTube – censé filtrer les contenus inappropriés pour les enfants – rend invisibles de nombreuses vidéos LGBTQ+, même sans contenu choquant. Des créateurs/trices signalent que des dizaines de leurs vidéos à thématique gay ou trans (parfois de simples discussions sur leur petit ami ou sur la bisexualité) sont occultées en mode restreint. Le hashtag #YouTubeIsOverParty explose sur Twitter en mars 2017, porté par des influenceurs comme Tyler Oakley qui dénoncent ce biais de filtrage. YouTube s’excuse publiquement et assure que seules les vidéos traitant de « sujets sensibles ou matures » devraient être ainsi filtrées. N’empêche, l’incident soulève un débat de fond : les algorithmes de modération traitent-ils l’évocation même de l’homosexualité ou de la transidentité comme intrinsèquement “adulte” ou “controversée” ? Cette question, posée en 2017, ne cessera de resurgir par la suite sur différentes plateformes.

Twitter, Facebook et le militantisme 2.0 – Les années 2010 voient également l’avènement de Twitter comme agora du militantisme LGBTQ+. Les hashtags permettent de mobiliser et de sensibiliser à grande échelle. En 2015, lorsque la Cour Suprême des États-Unis légalise le mariage homosexuel au niveau fédéral, le hashtag #LoveWins envahit Twitter et Instagram, célébrant cette victoire historique bien au-delà des frontières américaines. La même année, Facebook propose un filtre arc-en-ciel pour les photos de profil afin de fêter l’événement : en quelques jours, plus de 26 millions d’utilisateurs dans le monde arborent les couleurs de la fierté sur leur photo de profilout.com, générant plus d’un demi-milliard de likes et commentaires. Jamais la visibilité LGBTQ+ n’avait atteint une telle masse critique sur les réseaux sociaux – un véritable raz-de-marée de soutien populaire en ligne.

Sur Twitter, l’activisme queer s’organise autour de journées de sensibilisation (#DayOfSilence, #BiVisibilityDay…), de campagnes (#ItGetsBetter, #TransDayOfVisibility) et de réactions à l’actualité (#PrayForOrlando après la tragédie de la discothèque Pulse en 2016, #RepealSection377 en Inde avant la dépénalisation de l’homosexualité en 2018, etc.). Des figures militantes y gagnent une large audience, qu’il s’agisse de militant·e·s de base ou de figures publiques (on se souvient par exemple de la lettre ouverte en tweets de la chanteuse Lady Gaga envers les jeunes LGBT, ou des tweets percutants de Laverne Cox sur la transidentité). Facebook de son côté, bien que plus axé sur les cercles privés, prend des mesures pro-visibilité comme l’ajout en 2014 de plus de 50 options de genre pour les profils, ou la création d’outils spéciaux pour célébrer le mois des fiertés (réactions en forme de drapeau arc-en-ciel, cadres de profil “Pride”, etc.).

Applications mobiles et nouvelles communautés – Enfin, impossible d’évoquer les années 2010 sans parler de la révolution mobile qui touche aussi la communauté LGBTQ+. En 2009, l’application Grindr lance le concept de la géolocalisation au service des rencontres gay. Le succès est immédiat : Grindr atteint 500 000 utilisateurs en à peine un an, puis s’étend dans le monde entier. C’est une nouvelle forme de visibilité locale – “voir et être vu” par les autres personnes queer à proximité – qui change la donne pour de nombreux homosexuels, bisexuels et trans, en particulier dans les zones urbaines. À sa suite, d’autres applications voient le jour pour différents publics (Scruff, Hornet, Her pour les lesbiennes, etc.). Grindr lui-même compte en 2023 près de 13,5 millions d’utilisateurs actifs mensuels à travers la planète, preuve que l’ère des apps de rencontre gay initiée dans les années 2010 se poursuit vigoureusement. Parallèlement, Instagram (lancé en 2010) devient la vitrine d’une culture pop queer globalisée. Les drag queens rendues célèbres par l’émission RuPaul’s Drag Race y cumulent des millions d’abonnés, influençant mode et maquillage bien au-delà de la communauté LGBT. Des couples de même sexe y partagent leur quotidien en images, contribuant à normaliser aux yeux du grand public des réalités autrefois invisibles. La visibilité queer s’étend aussi aux champs de la musique et du cinéma via les réseaux : des artistes comme Years & Years (avec le chanteur Olly Alexander) ou Hayley Kiyoko (surnommée “Lesbian Jesus” par ses fans) utilisent YouTube, Twitter et Instagram pour revendiquer qui ils sont, mobilisant leurs fans autour des questions LGBT. En fin de décennie, l’affirmation LGBT en ligne est tellement intégrée que même des marques et institutions s’en mêlent, lançant des campagnes “#Pride” sur les réseaux, pour le meilleur et pour le pire (on parle alors de pinkwashing ou de récupération commerciale, ce qui suscite aussi des débats au sein de la communauté).

Années 2020 : de TikTok à OnlyFans, une nouvelle ère de visibilité

Années 2020 de TikTok à OnlyFans
Années 2020 : de TikTok à OnlyFans

L’explosion de TikTok et la Génération Z queer – À partir de 2020, une plateforme surpasse toutes les autres chez les jeunes : TikTok. Ce réseau de courtes vidéos algorithmique devient un espace d’expression privilégié pour la Génération Z, y compris et peut-être surtout pour les ados LGBTQ+. Le hashtag #LGBTQ cumule ainsi plus de 220 milliards de vues sur TikTok, signe d’un engouement massif. Sur TikTok, de nouveaux visages émergent en un clin d’œil grâce à la viralité : c’est le cas de Dylan Mulvaney, une jeune femme trans dont la série de vidéos “100 days of being a girl” a attiré des millions de personnes en 2022, propulsant les questions trans dans le feed de nombreux utilisateurs qui n’y auraient pas été exposés autrement. De nombreuses personnalités queer utilisent TikTok pour partager leur quotidien ou leur humour : des couples gays y dansent ensemble, des personnes non-binaires y expliquent avec pédagogie l’usage de nouveaux pronoms, des drag queens y dévoilent leurs transformations, etc. L’algorithme de TikTok, en personnalisant le contenu proposé, permet à chacun de trouver relativement vite la “gay TikTok” ou “alt TikTok” correspondant à ses centres d’intérêt. Cette hyper-visibilité algorithmique a un impact immense sur la jeune génération : des adolescents de milieux conservateurs peuvent découvrir via TikTok un univers LGBTQ+ diversifié, souvent avec humour et authenticité, ce qui contribue à briser l’isolement. En parallèle, des stars établies choisissent TikTok pour faire leur coming-out, signe que le média est désormais intégré à la culture de masse : en 2021, la populaire chanteuse et ex-star Disney JoJo Siwa a révélé son homosexualité dans une vidéo TikTok, déclenchant un raz-de-marée de réactions positives et une visibilité accrue des jeunes LGBTQ+ dans la culture pop.

Bien sûr, TikTok a aussi ses travers. Des enquêtes ont montré que la plateforme a parfois bridé la visibilité de contenus LGBTQ+ dans certains contextes. Fin 2019, on apprend que TikTok avait limité la portée des vidéos postées par des utilisateurs identifiés comme LGBTQ+, en les excluant notamment de la section “For You” (page d’accueil algorithmique) au-delà d’un certain nombre de vues. Officiellement, il s’agissait d’une mesure temporaire pour protéger ces utilisateurs du cyber-harcèlement, TikTok estimant qu’ils étaient plus susceptibles d’être victimes de moqueries. Cependant, cette pratique – tenue secrète jusqu’à sa révélation par la presse – a été dénoncée comme discriminatoire et contre-productive. TikTok a admis l’existence de ce filtrage en déclarant que « l’intention était bonne, mais l’approche était erronée » et en assurant y avoir mis fin. Par ailleurs, en 2020, des utilisateurs ont constaté que chercher des termes comme “gay” ou “trans” en russe ou en arabe sur TikTok ne renvoyait aucun résultat – la plateforme a été accusée de censurer ces hashtags dans certains pays peu accueillants envers les LGBTQ+. Là encore, face au tollé, TikTok a dû s’expliquer. Ces polémiques montrent que la bataille de la visibilité se joue aussi au niveau des règles internes des plateformes globales, souvent tiraillées entre des législations locales restrictives et la pression de leurs usagers mondiaux pour l’inclusion.

OnlyFans et la démocratisation des contenus queer adultes – Autre phénomène marquant des années 2020 : l’essor de OnlyFans. Fondée en 2016, cette plateforme d’abonnement a vraiment explosé dans la culture mainstream vers 2020, notamment pendant la pandémie. OnlyFans permet à des créateurs de contenu – y compris de contenu adulte explicite – de monétiser directement leurs photos et vidéos auprès de leurs fans. De nombreux performers LGBTQ+ s’y sont engouffrés, qu’il s’agisse de travailleurs du sexe professionnel·le·s, de militants prônant le sexe positif ou simplement de personnes partageant sans censure leur vie queer. En 2021, OnlyFans compte déjà plus de 130 millions d’utilisateurs inscrits et plus de 2 millions de créateurs, dont une part significative de personnes LGBTQ+. La plateforme a offert une source de revenus et de visibilité sans précédent pour des communautés souvent exclues des circuits médiatiques traditionnels. Par exemple, de nombreuses personnes trans, pénalisées sur le marché du travail classique, ont trouvé sur OnlyFans un moyen de subvenir à leurs besoins tout en affirmant fièrement leur identité et leur corps.

Cependant, en août 2021, OnlyFans provoque un choc en annonçant l’interdiction prochaine de la “pornographie” sur son site – ce qui engloberait l’essentiel des contenus pour adultes. Immédiatement, une levée de boucliers s’organise de la part des créateurs et des abonnés, avec de fortes voix LGBTQ+ soulignant qu’on voulait les renvoyer à la clandestinité après avoir bâti le succès de la plateforme. Face à ce tollé (et probablement à des considérations économiques), OnlyFans fera marche arrière en moins d’une semaine, suspendant son projet de bannissement. Cette volte-face a été largement attribuée à la mobilisation des travailleurs du sexe en ligne – dont beaucoup de personnes queer – qui ont inondé les réseaux sociaux de témoignages et de messages de protestation. L’affaire OnlyFans révèle à quel point la visibilité LGBTQ+ en ligne ne se limite pas à la présentation lisse sur Instagram, mais inclut aussi des réalités plus crues (sexualité, travail du sexe, fétichismes) qui font partie intégrante de la communauté et trouvent désormais leurs plateformes dédiées.

Nouvelles tendances et communautés en 2020+ – Les années 2020 voient aussi l’essor de plateformes communautaires plus spécialisées. Par exemple, Discord devient un lieu de ralliement pour d’innombrables groupes queer privés, qu’il s’agisse de jeunes se réunissant pour discuter en sécurité, de gaymers (gamers LGBTQ+) organisant des serveurs autour de leurs jeux favoris, ou de groupes de soutien en ligne pour personnes trans isolées. Bien que Discord soit moins visible publiquement (communautés fermées sur invitation), il contribue à renforcer le tissu communautaire en ligne. De même, l’exode de certains usagers LGBTQ+ de Twitter vers des alternatives comme Mastodon ou Bluesky après 2022 (à la suite de changements de politique et d’une montée du discours de haine sur Twitter) montre une diversification des espaces de visibilité. Chaque nouvelle plateforme ou évolution apporte son lot de possibilités et de défis, mais la tendance de fond est claire : la présence queer en ligne est maintenant multiple, protéiforme et profondément enracinée dans la culture Internet.


Lire aussi : L’Évolution de la Visibilité LGBTQIA+ dans la Pop Culture


Défis persistants : algorithmes, censure et modération

Malgré les avancées indéniables en visibilité, la communauté LGBTQ+ continue de se heurter à des obstacles structurels sur Internet. Les algorithmes des grandes plateformes – conçus pour maximiser l’engagement ou se conformer à certaines normes – ont parfois des effets néfastes sur la visibilité queer. Outre les cas évoqués de YouTube (filtrage des contenus LGBT en mode restreint) et de TikTok (limitation de portée « pour votre protection »), on peut citer Instagram qui, selon des artistes et militants, “shadowban” par moments des hashtags comme #lesbian ou #trans (c’est-à-dire rend moins visibles les posts associés, souvent à cause d’abus par du spam pornographique). Sur Facebook, les règles de nom réel ont pendant longtemps posé problème aux personnes trans ou drag queens utilisant un pseudonyme, les exposant à des blocages de compte. Twitter, de son côté, a interdit dès 2018 les discours de haine visant l’orientation sexuelle ou l’identité de genre – incluant l’interdiction formelle du deadnaming (fait de refuser le prénom d’usage d’une personne trans) ou du misgendering injurieux – mais l’application de ces règles est inégale et a varié en fonction des directions successives du réseau. Les débats autour de la modération sont vifs : comment protéger les utilisateurs LGBTQ+ du harcèlement sans pour autant invisibiliser leurs propres contenus ? Des rapports indépendants, comme l’index de sécurité en ligne de GLAAD, soulignent que les géants des réseaux sociaux ont encore beaucoup de progrès à faire. En 2024, par exemple, un audit de GLAAD a jugé “dangereux” ou insuffisants les dispositifs de sécurité pour les utilisateurs LGBTQ+ sur la plupart des plateformes (Facebook, Instagram, YouTube, Twitter…), aucune n’ayant obtenu la moyenne, à l’exception de TikTok avec un maigre D+. Ce constat alarmant prouve que la lutte contre la cyber-haine homophobe et transphobe doit rester une priorité, afin que la visibilité en ligne ne se paye pas au prix fort du harcèlement.



La censure étatique est un autre défi à l’échelle internationale. Dans certains pays, la visibilité LGBTQ+ en ligne se heurte directement aux lois et restrictions locales. La Chine, par exemple, applique depuis le milieu des années 2010 des politiques de censure qui affectent les contenus queer sur son Internet domestique. En 2018, le réseau social Sina Weibo (équivalent de Twitter) a annoncé vouloir supprimer toute publication “à contenu homosexuel” dans le cadre d’un grand « nettoyage » de printemps – au même titre que la pornographie ou la violence. La réaction des internautes chinois a été immédiate : des milliers de messages de protestation, souvent accompagnés du hashtag #我是同性恋 (“Je suis gay”), ont déferlé en un week-end. L’indignation a gagné même des personnes hétéro alliées, comme cette mère d’un jeune gay dont le post dénonçant la discrimination a reçu plus de 55 000 likes. Face à la pression, Weibo a dû faire marche arrière en trois jours, renonçant à censurer les contenus LGBT. Cet épisode illustre que, même sous des régimes restrictifs, la visibilité en ligne est âprement défendue par les citoyens lorsqu’on tente de la bâillonner. Néanmoins, tous les contextes ne connaissent pas une issue aussi positive. En Russie, depuis la loi de 2013 contre la “propagande gay”, les sites web et groupes sociaux abordant l’homosexualité sont dans le viseur des autorités – beaucoup ont dû fermer ou se restreindre pour éviter des sanctions. Dans le monde arabe, des militants LGBTQ+ créent des pages Instagram ou des chaînes YouTube pour sensibiliser, mais vivent avec la peur que leur identité ne soit découverte via leur activité en ligne. Ainsi, la visibilité queer sur Internet reste géographiquement inégale, tributaire de facteurs politiques.

Impacts sur la société, la culture pop et les droits LGBTQ+

L’essor de la visibilité LGBTQ+ en ligne a eu des répercussions majeures hors du web, dans la société au sens large. D’un point de vue culturel, on assiste à une intégration bien plus grande des récits et esthétiques queer dans la pop culture mainstream, impulsée en partie par les tendances nées sur Internet. Par exemple, la mode du voguing (danse inventée dans la scène ballroom LGBT afro-latino des années 80) a connu un renouveau via des vidéos virales sur YouTube et TikTok, avant d’être mise en lumière par des séries télé comme Pose. De même, des termes naguère réservés au jargon militant ou académique (transgenre, non-binaire, asexuel, genre fluide, etc.) sont entrés dans le vocabulaire courant, portés par leur diffusion en ligne. Il n’est plus si rare qu’un chanteur ou une star de cinéma fasse son coming-out publiquement sur Instagram ou Twitter, là où autrefois un communiqué de presse austère faisait l’affaire. Cette normalisation de l’identité queer dans le quotidien des internautes a contribué à humaniser les personnes LGBTQ+ aux yeux de millions de gens qui n’avaient peut-être pas de proche ouvertement LGBT. En 2023, un sondage Ipsos a estimé que 9 % en moyenne de la population mondiale se reconnaît comme LGBT+ et que la visibilité de ces personnes est en hausse presque partout. Si de tels chiffres de visibilité augmentent, c’est en partie grâce au miroir d’Internet : voir des individus vivre authentiquement leur identité en ligne encourage d’autres à faire de même dans la vie réelle, créant un cercle vertueux de coming-outs et d’acceptation.

Sur le plan du militantisme et de la politique, Internet a changé la donne de l’activisme LGBTQ+. Les réseaux sociaux ont facilité l’organisation de mouvements transnationaux. Une pétition en ligne bien relayée peut faire pression sur un gouvernement pour adopter (ou bloquer) une loi pro-LGBT. On l’a vu en 2015 avec l’Irlande, où la campagne en ligne a épaulé la victoire du référendum sur le mariage pour tous. On l’a vu aussi récemment en Pologne ou en Hongrie, où face à des mesures anti-LGBT, la communauté internationale se mobilise sur Twitter et Facebook pour apporter soutien et visibilité aux militants locaux. Durant la pandémie de COVID-19, alors que les marches des fiertés étaient annulées, un Global Pride virtuel a été organisé en juin 2020 : pendant 24 heures de livestream, concerts et témoignages se sont succédé, atteignant 57 millions de spectateurs dans au moins 163 pays. Ce succès phénoménal a prouvé que même confinée, la communauté LGBTQ+ pouvait se rassembler en ligne et rayonner mondialement.

Internet a également produit de nouvelles figures d’influence LGBTQ+ qui ont un impact politique. Des YouTubeurs transgenre peuvent être auditionnés par des parlements sur des lois les concernant. Des comptes Twitter très suivis peuvent interpeller directement des dirigeants. En 2021, lorsque la légende du football David Beckham accepte d’être ambassadeur du Mondial au Qatar (pays criminalisant l’homosexualité), ce sont des influenceurs comme l’Australien Josh Cavallo (premier footballeur pro homme ouvertement gay de sa génération, très présent sur Instagram) ou la journaliste trans Nikkie de Jager (NikkieTutorials sur YouTube) qui l’exhortent publiquement à reconsidérer son rôle, suscitant un débat mondial sur le double discours des célébrités vis-à-vis des droits LGBT. De la même manière, l’opinion publique, abreuvée d’actualités via le web, réagit de plus en plus vite aux atteintes contre les personnes LGBTQ+. Qu’il s’agisse d’un fait divers, d’une agression homophobe filmée et partagée sur Twitter, ou au contraire d’un exploit sportif d’un athlète ouvertement queer qui devient viral, la résonance médiatique qu’offre Internet façonne la perception collective de la cause LGBTQ+. Globalement, on peut dire que la visibilité en ligne a contribué à accélérer l’acceptation sociale : les enquêtes d’opinion montrent une hausse régulière du soutien aux droits LGBT dans de nombreux pays durant les années 2010 et 2020, et le fait de voir des personnes LGBT s’épanouir ouvertement sur ses fils d’actualité y est sans doute pour quelque chose.

En conclusion,

De l’ombre des forums semi-privés des années 2000 à la lumière crue des algorithmes de 2025, la visibilité LGBTQ+ en ligne a parcouru un chemin extraordinaire. Elle a permis à des millions de personnes d’être fières et présentes dans des espaces numériques où elles peuvent tisser des liens, créer, militer et exister sans filtre. Chaque étape – l’essor des blogs, la révolution des réseaux sociaux, l’avènement de la vidéo en direct, puis du streaming et des communautés virtuelles – a apporté son lot d’avancées pour la communauté queer, tout en soulevant de nouveaux défis. Aujourd’hui, l’histoire continue de s’écrire en temps réel : à chaque nouveau hashtag de visibilité correspond un contre-mouvement, à chaque progrès dans les politiques de modération répond un contournement ou une résistance. Mais une chose est sûre : la voix LGBTQ+ en ligne ne pourra plus être ignorée. Forte de ses victoires passées et consciente des combats à mener (contre la haine, pour l’inclusion globale), la communauté queer connectée demeure un acteur clé des transformations sociétales à venir – fièrement visible, du monde virtuel au monde réel.