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Disparition de Blued : la communauté LGBT chinoise face à un avenir incertain

Disparition de Blued application rencontres homosexuelles
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Disparition de Blued application rencontres homosexuelles

Une application essentielle en voie de disparition

La disparition progressive de Blued, l’application de rencontres homosexuelles la plus populaire en Chine, inquiète profondément la communauté LGBT du pays. Bien que les autorités n’aient pas donné de raisons claires à cette éviction, plusieurs observateurs y voient un tournant idéologique, où la promotion de la famille traditionnelle serait désormais privilégiée pour répondre au défi du vieillissement démographique. Blued, souvent comparée à Grindr ou Tinder, mais dédiée aux hommes homosexuels, a longtemps représenté un espace crucial de socialisation, de rencontres et d’expression identitaire.

Fondée en 2012 par Ma Baoli, ancien officier de police ayant d’abord créé un forum gay, l’application s’est hissée au rang de réseau social majeur avec 56 millions d’utilisateurs, dont 12 millions actifs chaque mois, selon l’agence de marketing hongkongaise OctoPlus. Début novembre, les utilisateurs ont découvert que Blued n’était plus disponible sur les magasins d’applications Apple et Android en Chine, tout comme Finka, une autre application du même groupe. Apple a confirmé avoir procédé à ces retraits à la demande de l’Administration du cyberespace de Chine. Si les versions déjà installées continuent de fonctionner, l’absence de mises à jour risque de les rendre rapidement obsolètes. Seule Blued Lite, une version payante moins accessible, reste disponible au téléchargement.

Un climat répressif qui pèse sur les associations LGBT

Cette disparition s’inscrit dans un contexte plus large de resserrement du contrôle gouvernemental sur la société civile. Depuis quelques années, les espaces d’expression LGBT sont de plus en plus limités : la Shanghai Pride est interdite depuis 2020, les groupes étudiants gays et lesbiens ont été supprimés de WeChat en 2021, et des mots-clés comme « Je suis gay » sont devenus introuvables sur les réseaux sociaux. En mai 2023, le Centre LGBT de Pékin, actif depuis 15 ans, annonçait sa fermeture en évoquant des « forces au-delà de son contrôle ».

Dans les grandes villes comme Pékin ou Shanghai, plusieurs bars et clubs LGBT ont été contraints de fermer, bien que certains établissements soient encore en activité. Les activistes, quant à eux, subissent pressions et intimidations, et certains sont régulièrement convoqués par la police.

Une tolérance sociale relative, une pression familiale persistante

La société chinoise n’est pas ouvertement homophobe dans ses lois ou dans les grandes villes, où les couples homosexuels peuvent cohabiter sans attirer l’attention. Toutefois, la pression familiale reste intense, avec des attentes très fortes en matière de mariage et de procréation. Beaucoup de personnes homosexuelles choisissent de cacher leur orientation, allant jusqu’à se marier avec une personne du sexe opposé, un phénomène désigné par les termes « tongqi » (épouse de gay) et « tongfu » (époux de lesbienne).

Cette dissonance entre vie privée et exigences familiales pousse certains à ne jamais faire leur coming out, créant une fracture entre leur identité et la sphère familiale.


Lire aussi : Situation des Droits LGBTQ+ au Japon : entre lente progression et résistances persistantes


Une application vitale dans les régions reculées

Blued ne se limite pas aux grandes métropoles. Elle joue également un rôle crucial dans les villes secondaires et zones rurales, où les lieux de rencontre LGBT sont quasi inexistants. Un utilisateur actif de l’application témoigne que, lors de ses déplacements professionnels dans des régions isolées, Blued permettait d’entrer en contact avec des personnes partageant les mêmes expériences, bien au-delà des seules rencontres amoureuses.

Cette fonction sociale est confirmée par Lik Sam Chan, chercheur à l’université de Sydney, spécialiste de l’usage des applications de rencontre en Chine. Il raconte notamment l’histoire d’un retraité du nord-ouest du pays, ancien agent de sécurité, qui a découvert Blued après le décès de son épouse. L’application lui a offert une nouvelle vie, celle d’un streameur gay pour seniors, inattendue et libératrice.

Blued victime d’une volonté politique plus large ?

Si Blued a toujours évité les prises de position militantes, la question de son retrait soulève de nombreuses hypothèses. Certains avancent que les progrès des droits LGBT à l’étranger, notamment à Taïwan, en Europe ou aux États-Unis, auraient nourri chez les autorités chinoises l’idée que les revendications internes sont influencées par l’Occident. Blued, pourtant perçue comme un outil de prévention sanitaire, en raison de son engagement dans la lutte contre le VIH, semble désormais dans le collimateur.

D’autres pointent des aspects plus controversés de l’application, notamment la circulation de photos explicites ou la présence de sollicitations à caractère sexuel, dans un pays où la pornographie est strictement interdite.

Enfin, pour de nombreux observateurs, la disparition de Blued s’inscrit dans une stratégie plus large : celle de revaloriser la famille traditionnelle face au déclin démographique et de réduire les espaces considérés comme incompatibles avec cette vision.


Conclusion : La disparition de Blued des plateformes chinoises dépasse la seule question technique ou commerciale. Elle symbolise une étape supplémentaire dans la restriction des espaces LGBT en Chine, et soulève des inquiétudes profondes quant à la liberté d’expression, à la visibilité des minorités sexuelles, et à l’avenir d’une communauté déjà marginalisée dans la sphère familiale et institutionnelle.

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