Quand le cinéma façonne — et déforme — les identités trans
Depuis plus d’un siècle, le cinéma exerce un pouvoir immense : il divertit, il émeut, il éduque, et surtout… il façonne des représentations. Pour les personnes trans, ce pouvoir a souvent été une arme à double tranchant. Bien avant que les discussions sur la transidentité n’entrent dans le mainstream, les films ont fixé des images, des stéréotypes et des tropes narratifs profondément ancrés, reproduits à l’infini. Résultat : les clichés trans cinéma ont non seulement conditionné le regard du public, mais influencé le vécu réel des personnes trans.
Cet article propose un décryptage complet, accessible et documenté, pour comprendre d’où viennent ces clichés, comment ils se sont imposés, pourquoi ils persistent, et surtout comment le cinéma contemporain tente — parfois maladroitement, parfois brillamment — de s’en libérer.
1. Origine des clichés : quand la transidentité devient un ressort narratif
Les premiers récits trans au cinéma ne sont pas nés d’un effort de représentation, mais d’un goût prononcé pour le sensationnalisme. À une époque où la transidentité n’était ni comprise ni nommée, Hollywood utilisait déjà les variations de genre comme surprise, ressort comique ou choc final.
1.1. La transidentité comme “révélation”
Dans de nombreux films du XXᵉ siècle, la personne trans n’est pas un personnage, mais un twist.
Le public est invité à rire, à avoir peur ou à être dégoûté lors d’une révélation finale présentée comme choquante.
Ce trope repose sur plusieurs angles problématiques :
- Le corps trans comme tromperie
- La transidentité comme mensonge
- L’idée que la féminité trans est une façade
Ces clichés trans cinéma ont durablement alimenté l’idée que les personnes trans “mentent” sur leur identité.
1.2. La transidentité pathologisée
À partir des années 1950-60, le cinéma d’auteur et certains thrillers psychiatrisent la transidentité. Elle devient un symptôme, une maladie mentale, un sujet d’étude… ou un danger.
Le message implicite ?
“Être trans, c’est souffrir. Être trans, c’est déranger.”
Une vision qui survit encore trop souvent dans les scénarios contemporains.

2. Les grands clichés transphobes au cinéma : décryptage complet
Les stéréotypes liés aux personnes trans au cinéma se répartissent en grandes catégories. Chacune répond à un cadre narratif précis, et a laissé des traces profondes dans l’imaginaire collectif.
2.1. Le cliché du “personnage trompeur”
Probablement le plus toxique des clichés trans cinéma.
Il repose sur l’idée que la personne trans est là pour duper, manipuler, masquer sa “véritable” nature. Ce trope existe dans la comédie, le thriller, le drame, la romance.
Fonction scénaristique
- créer un rebondissement “choquant”
- provoquer la gêne ou l’humour
- renforcer l’idée que “quelque chose cloche”
Conséquences culturelles
Ce trope a profondément influencé la perception sociale : il contribue à la peur irrationnelle des hommes trans dans les vestiaires, ou à l’hypersexualisation des femmes trans.
2.2. Le cliché de la “tragédie inévitable”
Pendant longtemps, les personnes trans ne survivaient pas à leur film.
Leur mort était une fatalité, un message moral, une punition sociale ou un symbole.
C’est ce qu’on appelle parfois “Bury Your Trans”, écho au trope “Bury Your Gays”.
Ce cliché impose plusieurs idées :
- la transidentité est un destin tragique
- vivre longtemps et heureux en tant que trans serait improbable
- la souffrance est la seule narration possible
Même dans les films bien intentionnés, la mort du personnage trans servait à faire pleurer le public cis… plutôt qu’à offrir une vraie trajectoire.
2.3. Le cliché du “freak” ou du monstre
Popularisé par les thrillers et films d’horreur, ce cliché associe transidentité, danger et folie.
On retrouve le trope dans certaines œuvres iconiques (sans les citer explicitement pour éviter la polémique), où le personnage trans ou “gender non-conforming” devient :
- un tueur en série
- un prédateur
- une menace surgie de l’ombre
Pourquoi ce trope est-il dangereux ?
Parce qu’il ancre l’idée absurde que les personnes trans représentent une menace — un discours encore utilisé politiquement aujourd’hui.
2.4. Le cliché du “comic relief”
Dans de nombreuses comédies jusqu’aux années 2000, les femmes trans sont tournées en ridicule.
Elles deviennent :
- un gag visuel
- un “homme déguisé en femme” aux yeux du public
- une blague récurrente
Ce cliché trans cinéma contribue à la déshumanisation — un phénomène que la communauté subit encore, notamment dans les discours transphobes en ligne.
2.5. Le cliché du personnage trans réduit à sa transition
Même dans les films bienveillants, un problème récurrent subsiste :
le personnage trans n’existe que par sa transition.
On ne lui permet pas de :
- voyager
- aimer
- évoluer professionnellement
- vivre un quotidien
- avoir une personnalité unique
La narration se concentre uniquement sur :
- l’annonce
- la transformation physique
- la confrontation familiale
- le “avant/après”
Cela réduit la transidentité à un parcours médical, alors que la vie trans est bien plus riche et diverse.
3. Les films qui ont perpétué ces clichés
Beaucoup d’œuvres célèbres ont façonné les clichés trans cinéma, parfois volontairement, parfois par ignorance.
Même si certaines appartiennent désormais à l’histoire du cinéma, leurs représentations continuent de marquer le public.
Ces films ont en commun :
- des scénarios écrits par des équipes non trans
- une absence de consultation communautaire
- des acteurs cis jouant des rôles trans
- une vision sensationnaliste et non réaliste
Résultat : une mémoire collective façonnée par des représentations biaisées.
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4. Pourquoi ces clichés persistent-ils ? Analyse approfondie
4.1. Un manque d’acteurs et de scénaristes trans
La raison principale est simple : pendant longtemps, les personnes trans ont été exclues du processus créatif.
Sans personnes trans derrière la caméra, les représentations deviennent mécaniques, stéréotypées, recyclées.
4.2. Le besoin narratif de “l’exceptionnel”
Le cinéma mainstream aime raconter des histoires extraordinaires.
Or, pour beaucoup d’auteurs cis, la transidentité est perçue comme “extrême”, “rare”, “étrange”, donc exploitable dramatiquement.
4.3. Une méconnaissance profonde de la réalité trans
L’ignorance mène au stéréotype.
Et tant que l’éducation populaire ne reflète pas la diversité des parcours trans, les vieux réflexes scénaristiques reviennent.
4.4. La demande du public
Le public cis attend encore parfois des récits centrés sur le choc ou la souffrance.
Les studios préfèrent donc miser sur des mythes faciles plutôt que sur des histoires trans authentiques.
5. La rupture moderne : quand le cinéma réinvente la représentation trans
5.1. Des acteurs trans devant la caméra
Depuis les années 2010, une nouvelle génération d’acteurs trans occupe l’écran.
Leur présence change tout :
ils incarnent des personnages avec justesse, humanité et complexité.
5.2. Des scénaristes et réalisateurs trans
Les œuvres créées par des personnes trans offrent une rupture radicale avec les clichés.
Elles montrent :
- des histoires d’amour
- des vies professionnelles
- des parcours joyeux
- des récits universels
La transidentité n’est plus une intrigue : elle fait partie du personnage, tout simplement.
5.3. Le réalisme émotionnel et social
Les films récents traitent de la transidentité avec nuance :
- impact familial
- dysphorie sociale
- joie de transitionner
- amitiés queer
- relations amoureuses authentiques
La souffrance existe, mais elle n’est plus le seul moteur narratif.
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6. Ce qu’il reste à faire : pistes pour de meilleures représentations
Malgré les progrès, beaucoup de défis persistent.
6.1. Donner des rôles trans à des acteurs trans
Cela semble évident, mais ce n’est toujours pas systématique.
6.2. Créer des personnages multidimensionnels
Un bon personnage trans n’est pas seulement trans :
il a des rêves, des failles, un humour, des contradictions.
6.3. S’affranchir des tropes
Adieu :
- révélation finale
- transition spectacle
- souffrance systémique
- sexualisation abusive
- “freak” ou “monstre”
6.4. Diversifier les identités trans représentées
Les films doivent explorer :
- les personnes trans racisées
- les hommes trans (souvent invisibilisés)
- les identités non binaires
- les personnes âgées trans
- les parcours de classe populaire
6.5. Intégrer des consultants trans
Pour éviter les maladresses, les stéréotypes involontaires, les angles problématiques.
7. Pourquoi lutter contre les clichés trans cinéma est crucial
Au-delà du film, ces représentations ont un impact direct sur la vie réelle :
- discriminations
- violences
- invisibilisation
- obstacles administratifs
- stigmatisation médicale
- rejet familial
Les films sont une porte d’entrée pour comprendre la transidentité.
S’ils véhiculent des clichés trans cinéma toxiques, ils influencent des millions de personnes et participent aux préjugés.
Lutter pour de meilleures représentations n’est donc pas un caprice militant : c’est une nécessité sociale.
Conclusion : réécrire le récit trans, enfin
Le cinéma a longtemps trahi les personnes trans.
Il les a ridiculisées, transformées en monstres, en victimes tragiques ou en tromperies vivantes.
Mais une révolution s’opère : grâce à l’arrivée de réalisateurs, scénaristes et acteurs trans, les représentations se diversifient enfin.
Le travail n’est pas terminé.
Mais aujourd’hui, la communauté trans n’est plus spectatrice de sa propre caricature : elle écrit, joue, réalise et transforme les récits.
Comprendre les clichés trans cinéma, c’est prendre conscience du passé pour construire un futur plus juste, plus humain, et surtout plus vrai.
